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Tuesday
Mar262013

Reflexions sur la reconstruction

Port-au-Prince, HAÏTI 22 mars 2013 – Les médias haïtiens et étrangers ont rédigé maints articles sur le processus de la reconstruction.

Ayiti Kale Je (AKJ), un partenariat journalistique, s’est donné comme mission d’enquêter sur le sujet depuis bientôt trois ans. Avec cet article, AKJ a décidé d’aller vers les grands acteurs pour les interroger sur ces trois aspects de la reconstruction :

1)    l’aide, dépendance et souveraineté

2)    la Commission Intérimaire pour la Reconstruction  d’Haïti (CIRH)

3)    les questions de vision, « leadership » et coordination

AKJ a effectué plusieurs demandes d’interview. Quelques-unes lui ont été refusées, notamment des ministres du gouvernement et certains parlementaires haïtiens [1].  Toutefois, AKJ a pu compter sur quelques acteurs, nationaux et internationaux, importants du processus de la reconstruction tels que : quatre anciens membres de la Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH), trois personnes travaillant ou ayant travaillé au sein du gouvernement, et les représentants en Haïti de la Banque Mondiale (BM), de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) et du Fonds Monétaire International (FMI).

Photo de couverture - un résident creuse un trou dans le camp de Tabarre Issa. Lire plus ici.
Photo: Fritznelson Fortuné

Aide, dépendance et souveraineté

Bien avant le séisme du 12 janvier 2010, Haïti dépendait majoritairement de l’aide internationale pour financer les projets et programmes du gouvernement ainsi que son budget. L’aide des bailleurs bilatéraux et multilatéraux demeure une ressource beaucoup plus importante que les recettes internes du gouvernement haïtien.

Avec le tremblement de terre, cette situation s’est largement aggravée.

Pour faire face à la situation critique post-séisme, l’aide internationale apportée à Haïti se divise en deux catégories: l’aide d’urgence, concentrée sur les efforts de secours humanitaire et l’aide à la reconstruction, destinée à financer la reconstruction et le développement à long terme.

Cependant, de même que l’aide octroyée à Haïti avant le tremblement de terre, la majorité de cette aide a contourné les structures de l’Etat haïtien pour aboutir directement aux mains des contractants privés, des « ONG » ou « organisations non gouvernementales », les agences bilatérales et multilatérales, et d’autres instances non-étatiques.

Graphique indiquant le montant de l'aide de la reconstruction qui est allé
au gouvernement haïtien (bleu foncé)
.
Source : Bureau de l'Envoyé spécial de l'ONU pour Haïti Télécharger le rapport [PDF]

Seulement un pour cent (1 %) de l’aide d’urgence a été fourni au gouvernement d’Haïti et, en ce qui a trait à l’aide de la reconstruction, les bailleurs bilatéraux ont décaissé sept pour cent (7 %) vers le gouvernement haïtien en utilisant des systèmes nationaux tandis que les bailleurs multilatéraux ont décaissé 23 pour cent vers le gouvernement en utilisant des systèmes nationaux. Comment les interviewés perçoivent cette question ?

Michèle Oriol, directrice exécutive du Comité Interministériel pour l’Aménagement du Territoire (CIAT), une agence du gouvernement chargée de la coordination des actions des six (6) ministères.

« Il y a une réflexion globale qui doit être faite sur la question de l’aide internationale de manière générale. A mon sens, je ne crois pas qu’à travers le monde l’aide internationale récolte beaucoup de succès »,  note-elle.

Cependant, elle souligne : « Qui l’a voté ? [le budget de la République ndlr]. Ce ne sont pas les blancs qui le votent chez eux à notre place pour ensuite venir nous l’imposer. Nous devons de préférence questionner la responsabilité des autorités haïtiennes par rapport au financement du fonctionnement de l’Etat haïtien et non l’inverse. Car, la responsabilité qui nous incombe est avant tout nationale. »

Jacques Bougha-Hagbe, économiste et ingénieur de formation, il représente le Fonds Monétaire International (FMI) en Haïti depuis mars 2010.

« On ne peut pas le nier. Une bonne partie de l’aide ne passe pas par le gouvernement d’Haïti et c’est ce que nous déplorons nous-mêmes. Moi je pense qu’il ne sert à rien de jeter la faute aux bailleurs parce qu’Haïti est un pays souverain. Qu’est-ce-qui empêche au gouvernement de mettre sur pied un cadre qui inspire confiance ? »

« L’idéal aurait été qu’on mette des ressources à la disposition du gouvernement et que le gouvernement utilise à bon escient ces ressources et rende compte à la population haïtienne et ensuite aux partenaires », ajoute-il, et il remarque que : «  les choses ne réussiront que si le gouvernement fait preuve d’un leadership dans lequel les bailleurs ont confiance. Parce que personne ne pourra jamais remplacer le gouvernement ».

Pour Bougha-Hagbe, même faible, l’Etat haïtien doit s’efforcer quand même de jouer son rôle : « Certes l’Etat haïtien a des faiblesses, le dernier mot revient à l’Etat haïtien...  Les principaux bailleurs peuvent être des ONG mais ils n’exécutent rien sans l’aval du gouvernement ».

Il finit pour dire qu’ : « Haïti est un pays souverain. Le jour où le gouvernement d’Haïti me demande de quitter le pays je partirai parce que c’est eux le patron. Ce n’est pas le FMI qui va vous imposer quoique ce soit en Haïti… Il faut absolument que les autorités haïtiennes fassent les réformes qu’il faut... Augmenter les recettes de l’Etat et rendre le pays moins dépendant de l’assistance étrangère. »

Une vue typique d'une réunion « cluster » chargée de coordonner les interventions
d'urgence. Pendant des mois, presque toutes les réunions ont été organisées en
anglais seulement, et bon nombre d’entre elles sont restées sans la présence
de représentants du gouvernement haïtien.
Lire plus ici.

Michel Présumé, directeur de division des bâtiments publics au sein de l’Unité de Contrôle des Logements et des Bâtiments Publics (UCLBP), une petite agence du gouvernement.  

Michel Présumé se veut réaliste, à la limite, pragmatique, en affirmant qu’ « Il est clair que nos moyens sont très faibles et nos besoins sont très énormes…. Nous sommes faibles parce que nous n’avons pas les moyens de faire ce que l’on veut faire. Et à ce moment nous attendons l’aide des autres et à un niveau tel que parfois cela fait mal, »

Présumé, ingénieur civil, ex-employé du ministère des travaux publics pendant 13 ans, pense que certains retards sont observés dans le déboursement de l’argent « c’est parce qu’il y a cette volonté de reprendre le contrôle qui explique le retard de l’aide ».

« Beaucoup de rapports parlent du pourcentage des aides qui revient au gouvernement haïtien. On doit changer cela. Le seul moyen d’y parvenir c’est de devenir un pays responsable et qu’on respecte », conclut-il.

Jean Claude Lebrun, coordonnateur national de Mouvement des Organisations Indépendantes Intégrées et des Syndicats Engagés (MOISE) depuis le 13 novembre 2006 et ex-membre de la CIRH où il a représenté le secteur syndical.

« Les Etats-Unis avaient le contrôle de tout ce qui se faisait dans le cadre de la reconstruction. Cette mainmise s’exerçait par le biais de ses différentes représentations et aussi par l’influence incarnée par la Fondation Clinton, très active dans les décisions relatives à la reconstruction ».

Pour M. Lebrun, c’est « une absence de leadership » qui a conduit le pays à cette situation de dépendance à laquelle il fait face. « On ne rétablit pas sa souveraineté avec l’aide internationale », d’après lui.

Alexandre V. Abrantes, médecin de profession et administrateur de santé à la Banque Mondiale (BM) depuis 20 ans, et actuel représentant de la Banque Mondiale en Haïti.

« C’est le gouvernement qui a le contrôle des décisions de la reconstruction au moins pendant le temps de la CIRH. »

Almeida Eduardo Marquez ex-représentant de la Banque Interaméricaine de Développement (BID) en Haïti [interviewé par courriel].

Pour le représentant de la BID qui a été sur place lors de la catastrophe : « la faible capacité d´exécution existait déjà avant le tremblement de terre ». 

William Kénel-Pierre, architecte indépendant, membre fondateur de l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL).

« Si je devrais me prononcer sur la reconstruction, je parlerais en premier lieu de la reconstruction de notre souveraineté, de notre dignité et de la reconstruction de notre structure sociale. Je ne peux pas parler de reconstruction de structure sociale mais d’une nouvelle structure sociale destinée à changer la situation que nous sommes en train de vivre », dit-il.

Pour l’architecte, assistance étrangère est toujours synonyme d’exigence. Parlant du FMI, il s’interroge « leur mission est de nous assister ou de gérer l’argent à notre place » ?

« Avant le tremblement de terre, il était claire que nos institutions étaient dans une phase très grave d’effondrement. Le tremblement de terre s’est transformé en ce que nous pouvons appeler un ‘épiphénomène’ du problème général encore plus grave que le tremblement de terre. » 

Un nouveau bidonville composé principalement de T-Shelters offerts par les ONG
s'installe sur les hauters Morne L'Hôpital.
Lire plus ici. Photo: AKJ / Evens Louis

Jean-Marie Bourjolly, mathématicien, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal. Ex-membre de la CIRH, de juillet 2010 à juillet 2011, en tant que représentant du pouvoir exécutif.  Bourjolly est rédacteur à la revue « Haïti Perspectives » [interviewé par courriel].

« L’étendue de nos malheurs, nous la devons surtout à la faiblesse chronique de l’État haïtien, et au laisser-faire et au manque de vision de ses dirigeants, » d’après le professeur Bourjolly qui vient de publier l’intégralité de cette interview dans la revue « Haïti Perspectives ».

« Faiblesse, donc, de l’État et leadership déficient qui se manifestent aussi par la kleptomanie proverbiale des dirigeants haïtiens, trop enclins, comme nous le savons, à confondre leur cassette personnelle avec les comptes bancaires nationaux et leurs intérêts particuliers avec ceux de leur pays. »

« L’État haïtien, de faible qu’il était avant le séisme, était devenu exsangue et polytraumatisé; de leur côté, les ONG s’étaient constituées, au fil des années, en un État dans l’État, d’où l’expression ‘République des ONG’ utilisée pour désigner Haïti; quant aux entités comme la Banque mondiale, la BID ou l’USAID, elles n’avaient pas l’habitude de nous rendre compte de leurs actions, et on ne voit pas ce qui aurait pu les faire changer d’approche, » ajoute-t-il. 

 

Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH)

La CIRH a été consacrée par un décret présidentiel pris le 21 avril 2010. Elle avait pour tâche, selon ce décret, « la planification stratégique, la coordination, le développement des projets, la mise en œuvre efficace et rapide, l’utilisation des ressources, l’approbation de projets, l’optimisation des investissements et des contributions, et l’assistance technique. »

Jacques Bougha-Hagbe, représentant du FMI.

« Pourquoi on a créé la CIRH? Si l’on veut parler franchement c’est parce qu’il y a encore ce problème de confiance entre beaucoup de partenaires et le gouvernement d’Haïti. »

« L’idée de la CIRH était intéressante au début, initialement créer ce forum là, qui permet à ses partenaires ainsi qu’à la société civile haïtienne de voir ensemble comment ils peuvent aller de l’avant, » note-il. Il continue : « Malheureusement l’institution a connu des problèmes que beaucoup d’autres plateformes de coordination de l’aide connaissent. Il faut une harmonisation des pratiques, des objectifs entre le gouvernement et les partenaires financiers et ce n’est pas facile. »

Le représentant du FMI pense que le défi auquel était confronté la CIRH n’était pas spécifique à Haïti, parce que  « les difficultés qu’elle a rencontrées reflètent tout simplement les difficultés de coordination de l’aide avec les pays en développement en général ».

Pour Bougha-Hagbe, même si le mécanisme de la CIRH a été nouveau et n’existe plus, « [i]l y a toujours une CIRH déguisée en Haïti. C’est le cadre de coordination des aides ... [qui]  repose sur des ‘tables sectorielles. Les tables sectorielles sont des sous-groupes sectoriels entre bailleurs et gouvernement qui discutent de la stratégie dans les domaines de l’éducation, de la santé, l’assainissement, la sécurité et la gouvernance. »

Un des dessins proposés pour la reconstruction de Port-au-Prince par la Fondation
Prince Charles de l’Angleterre
. Lire plus ici. Source : Fondation Prince Charles

Jean Claude Lebrun, syndicaliste et ex-membre de la CIRH

« La plus grosse faiblesse de la CIRH était le problème de la communication… La CIRH fonctionnait en circuit en fermé et aucune information ne pouvait sortir. »

« La CIRH pourrait être meilleure dans la mesure où elle était démocratisée, l’information circulait librement car il y avait un déficit d’information », ajoute-il. « Seuls le comité exécutif et le secrétariat prenaient les décisions… Le comité exécutif avait deux co-présidents, Bill Clinton et Jean-Max Bellerive. »      

Le Parlement, quoiqu’ayant ses représentants au sein de la CIRH, n’exerçait aucun contrôle sur la commission. Selon Lebrun, « c’est ce qui a occasionné la perte de la CIRH ».

Par ailleurs il ajoute qu’« Au sein de la CIRH, la branche internationale avait aussi ses problèmes car un seul secteur était dépositaire de tous les pouvoirs de décisions, c’était le secteur pro-américain. »

Alexandre V. Abrantes, représentant de la Banque mondiale en Haïti.

« La CIRH a été une très bonne initiative et je suis pas du tout d’accord avec tous ceux qui la critiquent sans bien savoir ce qu’elle a fait », martèle le représentant de la BM. « Tous nos projets de la Banque mondiale passaient par la CIRH. »

« Je crois que c’était pour des raisons politiques, il y a toute une fierté nationale, il y avait toute une perception que la CIRH était dominée par des blancs [sic]. Et vous savez que la presse internationale aime raconter de mauvaises histoires, alors elle venait à la fin de 6 mois et disait que "rien ne se passe, la reconstruction ne démarre pas." C’est ridicule », ajoute-il.

Almeida Eduardo Marquez,  ex-représentant de la BID en Haïti.

Le représentant de la BID partage le même avis que son homologue de la BM.

« Effectivement, la CIRH a été une excellente initiative, pour coordonner l´action internationale avec le gouvernement et pour attirer l´attention sur Haïti, tant au niveau des dons, tant pour l´investissement privé. Elle aura été encore meilleure, si elle était mieux utilisée comme instrument de communication entre Haïti et la communauté internationale. »

De même que les autres acteurs, il pense que l’expérience de la CIRH pouvait contribuer à l’amélioration des autres instances telles les « tables sectorielles » et le nouveau Cadre de Coordination de l’aide externe au Développement (CAED) qui est chargé de coordonner la gestion de l’aide de la communauté internationale, selon le gouvernement.

Les maisons modèles inutilisés au site de l'exposition logement échoué, qui a coûté
2 millions $ US.
Lire plus ici. Photo: AKJ / Jude Stanley Roy

Lucien Bernard, docteur en science du développement, recteur de l’Université Episcopale d’Haïti, professeur à l’Université d’Etat d’Haïti et ex-membre de la CIRH où il a représenté le Sénat.

« Il n’y avait pas de communication. Beaucoup de choses se faisaient sans que l’on nous tienne au courant. Cela s’apparentait à une horde d’organisations internationales. Même le texte des règlements internes nous a été proposé en anglais », d’après le professeur. « C’était un fait exprès afin de pouvoir mieux nous rouler dans la farine comme c’est le cas pour la plupart des gouvernements vis-à-vis de leur population. »

Garry Lissade, avocat au barreau de Port-au-Prince et ex-membre de la CIRH où il a représenté le pouvoir judiciaire

L’avocat pense que la CIRH était «  une très bonne chose qui pouvait offrir au pays un bon démarrage dans le cadre de la reconstruction eu égard à la manière dont la commission intérimaire a vu le jour, car elle n’a pas été formée de manière unilatérale. Elle était constituée à la fois d’acteurs nationaux et de bailleurs internationaux. »

Tout en admettant que la CIRCH souffre d’une certaine déficience, Lissade est d’avis qu’elle a été un succès : « La CIRH revêtait une structure particulière. Elle était un modèle unique dans le monde, les membres haïtiens étaient désignés par les autorités haïtiennes, les membres de la société civile désignaient leurs représentants au sein de la CIRH. Ce qui rendait particulière la CIRH c’est que maintenant les pays dits ‘amis d’Haïti’ n’allaient plus lui tendre la main et décider à sa place, ils étaient obligés de s’asseoir avec lui autour d’une table. »

Jean-Marie Bourjolly, professeur à l’Université du Québec à Montréal, ex-membre de la CIRH.

« Dans un pays où les pouvoirs publics auraient été connus pour assumer leurs responsabilités et œuvrer dans le sens du bien commun, un organisme supranational comme la CIRH aurait sans doute été inutile, voire impensable, » d’après lui. 

« La création de la CIRH fut précédée par la préparation et la publication, sous l’impulsion de la communauté internationale et grâce à son aide technique et financière, de deux études, l’une, intitulée Post Disaster Needs Assessment (PDNA), pour faire l’état des lieux, c’est-à-dire évaluer l’étendue des dégâts, et l’autre, le Plan d’action pour le Redressement et le Développement d’Haïti (PARDH), en mars 2010, pour planifier non seulement la reconstruction physique, mais, selon l’expression du Chef de l’État, ‘une refondation d’Haïti’ … C’est dans ce contexte qu’il faut voir la CIRH, à mon avis. Sur papier, elle semblait correspondre à la situation. Je me réfère aux huit buts décrits dans la section 5 de ses Règlements : planification stratégique, coordination, développement de projets, approbation de projets, mise en œuvre efficace et rapide, utilisation des ressources, optimisation des investissements et des contributions, et assistance technique. »

Cependant, Bourjolly note que « la CIRH était une grosse machine qui échappait totalement au contrôle de son conseil d’administration » parce que ledit conseil d’administration, selon ce que rapporte l’ex-membre de la CIRH, « avait, à l’unanimité moins une voix, voté ‘les pleins pouvoirs’ à ses deux coprésidents, MM. Clinton et Bellerive, qui y tenaient mordicus et avaient insisté lourdement, contre toute raison, jusqu’à obtenir gain de cause. »

« La CIRH aurait pu jouer un rôle de premier plan dans cette résurrection ou, à tout le moins, obtenir de bien meilleurs résultats, si elle avait opté pour la transparence tant à l’intérieur de l’institution que vis-à-vis de l’extérieur et si elle avait fait le pari de la confiance envers les Haïtiens plutôt que de les traiter avec suspicion, », d’après Bourjolly.

Malgré toutes ses critiques, le professeur convient : « Je crois sincèrement, malgré les critiques très dures que je viens de formuler envers elle, que, dans les circonstances, la CIRH a joué un rôle globalement positif. »

 

Les questions de vision, « leadership » et coordination

Selon l’avis partagé par différents acteurs, le tremblement de terre a aussi fourni l’occasion à la communauté internationale à travers ses différents organes tels que (les agences multinationales, les ONG, les bailleurs de fonds) d’exercer davantage sa mainmise sur Haïti. [Cependant, pour d’autres acteurs, c’était l’occasion de prouver noir sur blanc le manque de leadership et de vision des autorités haïtiennes.

Un plan qui devait être la boussole de la reconstruction, le Plan d’Action pour le Relèvement et le Redressement National (PARDN), un nombre incalculable de projets, des douzaines de « cluster » afin de planifier les actions d’urgence ; de nombreuses conférences, colloques et tables-rondes. Cependant, plusieurs études témoignent d’un manque de coordination avéré.

Jacques Bougha-Hagbe, FMI.

Le Représentant du FMI pense qu’il est important de noter comment il est difficile de coordonner l’aide après un désastre dans un pays pauvre.

« Le problème généralement c’est que d’un côté vous avez le gouvernement qui doit continuer à faire son rôle et les bailleurs qui sont eux aussi des institutions qui ont leurs propres réalités », note-il.

Néanmoins, il ajoute qu’il croît que le gouvernement ne peut pas se défiler et qu’il doit accepter de relever le défi : « Le gouvernement doit toujours garder le leadership dans la stratégie de développement. Mais ce leadership doit être éclairé, clair et digne de confiance. A mon avis les choses ne réussiront que si le gouvernement fait preuve d’un leadership dans lequel les bailleurs aient confiance. Parce que personne ne pourra jamais remplacer le gouvernement. »

« L’idéal, une fois de plus, aurait été que le gouvernement lui-même mette sur pied les mécanismes d’acheminement à cette aide. Mais ces mécanismes doivent être fiables. Cela veut dire que si un bailleur décide de mettre ses ressources à la disposition du gouvernement, le gouvernement utilisera les ressources déjà pour les objectifs initiaux visés, » conclue-t-il.

Une carte montrant et énumérant les dizaines d'organisations multilatérales,
bilatérales et les organisations humanitaires, tous travaillant dans le domaine agricole
en septembre 2010.
Source : OCHA

Michel Présumé, UCLBP.

Présumé, sans détour, avoue « Je ne sais pas qui est le véritable chauffeur [de la reconstruction] sauf que nous connaissons notre mandat [à l’UCLBP] et notre mandat est clair. Et nous avons eu de très bonnes collaborations avec toutes les institutions et nous savons ce que nous avons à faire »

Alexandre V. Abrantes, BM.

« C’est le gouvernement qui a le contrôle sur les décisions de la reconstruction au moins pendant le temps de la CIRH, » d’après le représentant de la BM, donnant comme exemples la reconstruction de l’hôpital général (HUEH) et la Route nationale #3.

« La décision a été prise par le gouvernement. L’exécution…, vous avez raison. Le gouvernement n’a pas eu le contrôle de l’exécution de ces projets mais avait le contrôle de la décision de faire tel projet ou tel autre », d’après Abrantes. 

Le représentant de la BM pense que le gouvernement haïtien a regagné le pouvoir de coordination et de direction aujourd’hui.

« Maintenant avec le nouveau document de la commission de la coordination de l’aide externe, le CAED, c’est plutôt clair que le ministère du plan [Laurent S. Lamothe] a un rôle important dans la coordination de l’aide. »

Almeida Eduardo Marquez, ex-représentant de la BID.

A la question « Qui a le contrôle de la reconstruction ? », Marquez dit :

« Je pense que la meilleure question dans ce sens n´est pas QUI A, mais c´est QUI DOIT AVOIR le contrôle.  La réponse est simple : c´est le gouvernement.  Il n´y a pas d´autre moyen de reconstruire Haïti sans la participation des Haïtiens, coordonnée par le gouvernement. Un gouvernement capable de créer un plan, cibler les initiatives, gérer bien les finances et coordonner le partenariat avec le secteur privé, la société civile et les bailleurs de fonds, sur une base démocratique et autonome, est la seule solution pour la reconstruction.  Et je vois que les dispositions sont prises maintenant en Haïti pour que ça se fasse ». 

Collage de photos montrant les divers « abris provisoires » construits par tout en Haïti par
environ trois douzaines d'organisations.
Lire plus ici. Source : Shelter Cluster

Jean-Marie Bourjolly, professeur et ex-membre de la CIRH

« Le PARDN il s’agissait, je le répète, d’une ébauche de plan. J’ajoute : une ébauche de plan concoctée rapidement par la communauté internationale pour le compte du gouvernement haïtien, avec la participation de cadres du ministère du Plan. Le gouvernement haïtien l’a ensuite présentée officiellement à cette même communauté, pour faire semblant d’être en contrôle de quelque chose, une fiction qui n’a trompé personne, certainement pas la communauté internationale, mais qui a eu pour effet de ménager certaines susceptibilités nationales… D’autant plus qu’il avait été conçu sans la participation des acteurs de terrain qui se battaient admirablement pour faire face aux multiples problèmes post-séisme. »

« Si la reconstruction doit être coordonnée, elle ne peut l’être que par une organisation investie de la mission et du pouvoir de décider, en consultation avec les acteurs légitimes (ministères, ONG, communauté internationale, communautés et autorités locales, société civile…), de ce qui doit être fait globalement et localement, selon quelle priorité, avec quelles ressources, et de vérifier ou faire vérifier ce qui est en train d’être réalisé sur le terrain pour être en mesure de rectifier le tir. »

 

Maisons construites et offertes par le gouvernement du Venezuela qui sont restées
vides pendant 15 mois après le séisme.
Lire plus ici. Photo : AKJ / James Alexis


[1] Les personnalités suivantes ont ignoré nos différentes demandes d’interview : le premier ministre et ministre de la planification et de la coopération externe Laurent S. Lamothe, le directeur général du ministère de la planification et de la coopération externe Yves Robert Jean, l’ex-secrétaire exécutif de la CIRH Gabriel Verret, les envoyés spéciaux du Secrétaire Général de l’ONU l’ex-président américain William J. Clinton et le Dr. Paul Farmer, l’ex co-président du Fonds pour la reconstruction d’Haïti (FRH) Joseph Leitman.

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